Chercher au présent Journée d’études des jeunes chercheurs, le jeudi 1e décembre, à l’amphi de la MILC à Lyon, en présence d’Arno Bertina et Laurent Demanze
L’animal au-delà de la métaphore Journée d’études du CERCC, le mardi 18 octobre à l’ENS de Lyon, avec la participation d’Anne Simon et Eric Baratay.
Méthodes, pratiques et enjeux des études littéraires. Regards et questions des doctorant.es sur la discipline. Journée d’études des doctorant.es de Passages XX-XXI Vendredi 6 février
Journée d’études : classicisation du contemporain. Marie-Odile André et Mathilde Barraband vous proposent à Paris III de suivre le devenir-classique de la littérature au présent
Rencontre avec Dominique Viart : dans le cadre de son séminaire sur les enjeux du contemporain, Laurent Demanze s’entretient mardi 19 novembre 2013 avec Dominique Viart, à l’ENS de Lyon.
1. Il y a dans les livres de la collection un goût du voyage, un souci d’observation des formes animales et un souci du décentrement géographique que vous avez en partage. On a ainsi le sentiment que la collection incarne ou prolonge un projet de vie personnel, est-ce bien le cas ?
Oui, l’idée de la collection est née en partie d’un goût personnel pour le terrain et l’observation fréquente du vivant qu’il surgisse de façon inopinée ou qu’on aille le chercher. Un voyage aux Everglades (en Floride) il y a une quinzaine d’années révéla de façon fulgurante cette inclination latente – qu’il faudrait certainement chercher dans l’enfance – dans toute enfance selon Wilson, mais cette réflexion nous entraînerait trop loin. Dans un parc protégé, sorte de cloche de verre à l’échelle d’un biotope donné, le visiteur est tout à la fois bouleversé par la splendeur du vivant comme par sa fragilité. Il peut aussi être surpris, voire agacé, par son ignorance. C’est ainsi que la passion de l’identification, comme le bonheur de contempler « ce monde qui existe », là, dehors, et se renouvelle à chaque regard, comme un grand texte dont on n’épuise pas la polyphonie, ne nous ont plus quittés, au retour, comme ne nous a plus quitté la conscience, assez souffrante, faut-il l’avouer, de la catastrophe en cours.
Le second « déclencheur » de cette collection, et c’est peut-être un paradoxe, fut lié à un travail poétique toujours en cours (FR) et presque tout entier tourné vers ce qu’on pourrait définir comme une mélancolie de l’espèce, une espèce fascinée par ce qu’elle est en train de perdre, à mesure qu’elle l’étudie et le détruit. La documentation avant l’écriture joue un rôle capital. La lecture de Jay Gould, de Dominique Lestel, ou de Vinciane Despret, par exemple, nous a révélé que certains textes fondateurs étaient inconnus ou non traduits. C’est d’ailleurs à Dominique Lestel que Biophilia doit la publication de Paul Shepard et de Edward O. Wilson.
Quant à l’installation de Corti sur le Causse du Quercy, vous ne pouviez trouver terme plus adéquat que « décentrement géographique ». Si nous n’avons pas immédiatement perçu la portée symbolique de notre choix, plutôt mus par un souci concret de « recentrement » sur le cœur de notre métier éditorial difficilement compatible, à deux, avec le maintien d’horaires contraignants de vente en librairie, elle nous saute littéralement aux yeux, à présent. Nous répondons à vos questions, fenêtre ouverte sur un bout de France encore à peu près préservée, où la main de l’homme aurait même eu plutôt tendance à favoriser cette fameuse biodiversité, avant que le terme, aujourd’hui rabâché, ne soit inventé (par celui-la même d’ailleurs qui inventa celui de Biophilie, Edward O. Wilson).
Alors, oui, projet de vie, projet pour Corti aussi, tout cela est intimement lié.
2. Il existe bien des collections consacrées au devenir de la planète qui vont vers le militantisme. Pourtant la collection Biophilia semble résister à la tentation du militantisme. Est-ce que la collection excède tout de même le geste éthique ou le décentrement du regard pour proposer un horizon politique ?
Il y eut cinq destructions de masse avant celle que nous précipitons au cœur de l’holocène. On sait bien depuis Jay Gould et sa théorie de l’équilibre ponctué, que l’évolution n’a jamais été ce long fleuve tranquille, elle se manifeste par à-coups ; les extinctions participent de ces nouveaux brassages de cartes, mais l’astéroïde qui a décimé tous les dinosaures (à l’exception des oiseaux !) et, pour aller vite, permis que se développe la classe des mammifères, n’avait pas plus de mains qu’il n’avait d’yeux.
Et c’est bien là surtout, pour nous du moins, que réside le scandale : l’instrument de cette extinction en est aussi le témoin. Comme il y a urgence, la tentation est forte de verser dans le militantisme, ce dont d’excellentes collections se chargent effectivement (comme par exemple Anthropocène, créée au Seuil en 2013 par l’historien Christophe Bonneuil).
Mais, Biophilia n’a peut-être qu’une seule ambition, dont nous assumons l’apparente naïveté : se situer dans cette tension entre la simple description de ce qui fut et ce qui est, arche païenne scientifique et/ou sensible, à l’échelle du temps de notre espèce. Si nous sommes démunis face à la catastrophe en marche, dont seuls quelques criminels nient encore l’imminence, il nous reste quelques nanosecondes (à l’échelle des temps géologiques) pour chanter ce monde et en préserver quelques miettes. La terre s’en sortira certainement, mais restera-t-il encore un corbeau ou un dauphin pour en avoir conscience – et nous ne choisissons pas ces animaux au hasard ?
« Tant de mains pour transformer ce monde, et si peu de regards pour le contempler » : cette citation de Gracq a fait le tour du monde du web. Tous ceux que nous publions ont cette conscience, certains, depuis plusieurs siècles (Bartram, Thoreau, Muir).
Ceci étant, quelques numéros de la collection sont particulièrement militants, qu’on songe notamment aux textes d’Aldo Leopold, traduits par Anne-Sylvie Homassel, Pour la santé de la terre. Véritable manifeste concret pour la gestion des sols et la préservation du vivant, cet ensemble témoigne de sa « contribution essentielle à la structuration de l’écologie comme science et pratique. » De même, dans Nous n’avons qu’une seule terre, traduit par Bertrand Fillaudeau, Paul Shepard, un autre précurseur de ce qu’on nomme aujourd’hui l’écologie profonde, avance, entre autres intuitions géniales, cette idée, révolutionnaire à l’époque, selon laquelle, là encore pour aller vite, la catastrophe écologique est née au néolithique (avec la thésaurisation des sols et l’augmentation de la population).
3. En parcourant les titres de la collection, on passe à mesure de traductions de textes fondateurs de la conscience environnementale à des textes inédits en langue française, d’une affirmation d’identité de la collection à des explorations contemporaines. Cet infléchissement est-il le signe de l’importance croissante de la collection dans le catalogue Corti ?
Tout démarrage nécessite une visibilité. Il en va de même pour une nouvelle collection éditoriale, aussi confidentielle soit-elle.
Cette collection est importante pour Corti, dans la mesure où elle est la dernière créée, mais elle correspond de toute évidence à des préoccupations que vous avez d’ailleurs soulignées, déjà présentes dans le catalogue : dans le Domaine Romantique (dirigé par Bertrand Fillaudeau) des grands Allemands (Friedrich, Novalis etc…) aux lakistes anglais (Wordsworth, Coleridge), chez les grands prosateurs ou poètes américains « fondateurs », de Thoreau à Dickinson, ou à Whitman comme à travers certains essais (Michel Collot).
Il nous plaît aussi, dans le cadre plus strictement littéraire, de dénicher des sensibilités nouvelles quant à la vision radicalement changée que l’auteur-e du XXIe siècle peut – ne peut qu’ ? – avoir de la notion de nature : existe-t-elle même encore ? (Cette question était d’ailleurs déjà sous-jacente dans toute l’œuvre bouleversante d’Ernest Thompson Seton – artiste, naturaliste, auteur, défenseur des Indiens et de leur mode de vie comme de la nature et de tous ceux qui la peuplent, Seton, qui est mort en 1946, est toujours notre contemporain.) Ceci étant, même si notre sensibilité est biophilique, tout livre n’a pas vocation à être publié dans cette collection. Prenons l’exemple concret d’une nouvelle poète, Aurélie Foglia, qui entrera en 2018 au catalogue avec un livre très novateur : Grand Monde, où la thématique de l’arbre est centrale. Nous avons tenu à la publier dans le Domaine français, espérant qu’il s’agit là non d’un texte isolé, mais de toute une œuvre en cours, notion qui entre donc dans la catégorie plus générique d’une « politique d’auteur ». L’édition aussi fonctionne par clade !
Enfin, nous publions très peu de livres par an et la « vague verte » chez Corti n’en est que plus visible, mais il se peut, dans les années à venir, que les parutions soient plus équilibrées par collection. Si nous sommes évidemment maîtres de nos propres recherches et traductions, nous sommes aussi tributaires de ce que l’on nous propose, cette évidence est à prendre tout simplement en compte.
4. Au-delà d’un intérêt commun pour le vivant, la collection Biophilia témoigne d’un réel éclectisme, à la fois générique, formel et thématique : quels critères retenez-vous pour sélectionner les ouvrages ? Recevez-vous désormais des manuscrits proposés spécifiquement pour la collection ?
Les premiers livres de la collection correspondaient, comme nous le disions, à des idées que nous avions eues en découvrant les œuvres originales et leurs bibliographies (Shepard, Wilson), à des projets personnels (l’édition naturaliste des Voyages de Bartram, la traduction de l’œuvre de Seton, etc.) ou à des œuvre suggérées (Les bêtes de Tozzi ont été proposées par Philippe di Meo, le traducteur ; le projet de La troisième île, de Sjöberg, est né d’une discussion avec une amie, Bernhild Boie, qui l’avait lu en allemand au moment même où nous finissions le premier livre du Suédois, Piège à mouches, dans une traduction d’Elena Balzamo, traductrice avec laquelle nous avons souvent travaillé).
Parmi les dernières parutions, et cela est toujours très réjouissant, trois textes sont tout simplement arrivés par la poste.
– Gwenn Rigal, Le temps sacré des cavernes : un travail de synthèse remarquable parce que limpide et complet sur les Cro-magnon et leurs art. Ce livre est arrivé à point nommé : nous recherchions un ouvrage similaire qui analyserait le bestiaire des grottes ornées.
– Dominique Rameau, Sanglier : un récit très poétique où la nature n’est plus personnifiée, mais personnage à part entière.
– Armand Farrachi, La Tectonique des Nuages : un ensemble d’essais (au sens où l’entend Montaigne) sur la littérature et l’observation du vivant.
Aucun des trois ne connaissait la collection Biophilia, voire même, pour deux d’entre eux, le catalogue des éditions Corti.
Nous n’avons reçu à ce jour que deux ou trois propositions sérieuses directement ciblées pour Biophilia, le nombre devrait évidemment augmenter au fil des publications, nous l’espérons ; nous continuons évidemment à chercher et restons ouverts à toute proposition dans ce domaine, confiants dans l’étrangeté quasi miraculeuse des aimantations : un livre arrive souvent quand il faut. S’il n’y a pas à proprement parler de critères objectifs de sélection en amont, au fond, notre vœu serait qu’au fil du temps, cette nébuleuse pour l’amour – et au service – du vivant, participe à sa manière au nécessaire changement d’entendement qui nous semble d’ores et déjà en cours.
Tous nos remerciement à Fabienne Raphoz et Bertrand Fillaudeau pour leurs réponses.