écritures contemporaines

Archéologie de soi et récit de filiation

Séminaire de Master 2013-2014, proposé par Laurent Demanze à l’ENS de Lyon Mercredi 13h30-16h

Depuis les années 1980, le récit auto­bio­gra­phi­que le cède à l’enquête de filia­tion et au por­trait des ascen­dants. Loin d’une célé­bra­tion d’une généa­lo­gie noble, il s’agit sou­vent d’un hom­mage envers les figu­res minus­cu­les. Ces récits sont autant de symp­tô­mes d’une inquié­tude de l’héri­tage à l’ère moderne. Ce sémi­naire sera une manière d’inter­ro­ger les écritures obli­ques de soi.

Le sémi­naire de lit­té­ra­ture contem­po­raine à l’ENS de Lyon porte cette année sur les renou­vel­le­ments du récit de filia­tion. Depuis la paru­tion de Vies minus­cu­les, il y a trente ans, les enjeux et les formes du récit de filia­tion ont été bou­le­ver­sés : exten­sion, dépla­ce­ment et iro­ni­sa­tion, voilà ce à quoi s’atta­che un sémi­naire réso­lu­ment tourné vers les méta­mor­pho­ses les plus récen­tes du récit de filia­tion.

Les enjeux de la littérature contemporaine

Séminaire de Master 2013-2014, proposé par Laurent Demanze à l’ENS de Lyon

Premier semes­tre, mardi 9h-11h

La lit­té­ra­ture contem­po­raine s’ensei­gne depuis quel­ques années à l’Université comme dans le secondaire. Ce sémi­naire sera l’occa­sion de s’inter­ro­ger sur cette irrup­tion de la lit­té­ra­ture au pré­sent dans le dis­cours uni­ver­si­taire : quelle méthode impose cette appa­ri­tion d’un objet nou­veau ? quelle pos­si­bi­lité d’his­to­ri­ci­ser le pré­sent lit­té­raire ? quels enjeux de champ et de spé­ci­fi­cité de dis­cours ? Quelle valeur donner à ce dis­cours ? Pour étoffer ces réflexions, on ana­ly­sera par la suite deux pro­blé­ma­ti­ques d’aujourd’hui : les écritures du fait-divers et les renou­vel­le­ments de l’enga­ge­ment lit­té­raire.

Paysage et géographie : les écritures de l’espace au contemporain

Séminaire de Master 2013-2014, proposé par Laurent Demanze à l’ENS de Lyon

Second semes­tre, mardi 11h-13h

Depuis le Romantisme, le pay­sage est un objet d’écriture pri­vi­lé­gié. Il est rede­venu à la fin du XXe siècle un motif essen­tiel de la lit­té­ra­ture contem­po­raine : entre géo­gra­phie lit­té­raire et géo­cri­ti­que, les écrivains comme les ana­lys­tes de la lit­té­ra­ture ont fait de l’écriture de l’espace un enjeu essen­tiel, qui inter­roge les dis­tri­bu­tions socia­les, les connexions dis­ci­pli­nai­res et les moda­li­tés de spa­tia­li­sa­tion de l’écriture. Michel Foucault le notait déjà, dans « Des espa­ces autres », après le siècle de l’Histoire, serait venu le temps de l’espace. Cette inter­ro­ga­tion sera menée, après une archéo­lo­gie cri­ti­que, en étudiant quel­ques auteurs qui ont fait de l’espace un enjeu car­di­nal : Philippe Vasset, Georges Perec, Yves Bonnefoy, Pierre Bergounioux, Jean-Loup Trassard etc.

Anachronisme et spectralité : la littérature hors de ses gonds

Séminaire de Master 2012-2013, proposé par Laurent Demanze à l’ENS de Lyon

La reve­nance est une méta­phore d’époque, et l’on ne compte plus les livres où le spec­tre a une place de choix. Tout se passe comme si l’époque contem­po­raine était hantée, même si elle a cessé de croire aux fan­tô­mes. Cette reve­nance dif­fuse et obsé­dante est sans doute sus­ci­tée par l’essor des ima­gi­nai­res du vir­tuel, par la pré­gnance d’arts spec­traux (pho­to­gra­phie, ciné­ma­to­gra­phie), mais aussi par une inquié­tude qui porte sur la pensée de l’his­toire. La spec­tra­lité invite alors à (re)penser l’his­toire à partir d’ana­chro­nis­mes.

Mélancolie et modernité : les écritures de la perte aux XIX et XXe siècles

Séminaire de Master 2010-2011, proposé par Laurent Demanze à l’ENS de Lyon

Même si elle plonge ses ori­gi­nes dans une loin­taine anti­quité, la mélan­co­lie est rede­ve­nue au tour­nant du XIXe siècle un affect puis­sant et qui donne une tona­lité à bien des œuvres d’alors. Elle devient, plus qu’une patho­lo­gie indi­vi­duelle, le lieu d’une inquié­tude his­to­ri­que et d’une cons­cience de la perte. A tra­vers la mélan­co­lie, ce cours se pro­pose d’ana­ly­ser les stra­té­gies de la perte, qui vont de la réac­ti­va­tion du genre du tom­beau à des poé­ti­ques de la lacune, en par­cou­rant quel­ques grands textes : Chateaubriand, Baudelaire, Mallarmé, Sartre, Claude Simon et Patrick Modiano.

Les fictions encyclopédiques de Gustave Flaubert à Pascal Quignard

Séminaire de Master 2010-2011, proposé par Laurent Demanze à l’ENS de Lyon

On a sou­­vent remar­­qué le dia­­lo­­gue renoué depuis les années 1980 entre la lit­­té­­ra­­ture et les savoirs. Tout se passe en effet comme si depuis l’épuisement d’une exi­­gence for­­ma­­liste, et l’essouf­­fle­­ment de son exi­­gence de clô­­ture, la lit­­té­­ra­­ture se res­­sai­­sis­­sait à nou­­veaux frais du monde, mais au prisme des savoirs, socio­­lo­­gie, his­­toire, eth­­no­­lo­­gie. Le retour de la figure du lettré (William Marx, Vie du lettré) ou de l’érudit (Nathalie Piégay-Gros, L’érudition ima­­gi­­naire) dit aussi com­­bien l’écrivain contem­­po­­rain reven­­di­­que à nou­­veau un magis­­tère de la pensée, mais de la pensée en mineur, celle des archi­­ves minu­­tieu­­ses et des détails délais­­sés. Les études ont bien ana­­lysé les rela­­tions, par­­fois conflic­­tuel­­les, sou­­vent dia­­lo­­gi­­ques, entre la lit­­té­­ra­­ture et les scien­­ces humai­­nes. Ce dia­­lo­­gue retrouvé s’accom­­pa­­gne d’une inven­­ti­­vité for­­melle et géné­­ri­­que qui mêle bien sou­­vent les déri­­ves de la fic­­tion et l’attes­­ta­­tion réfé­­ren­­tielle du savoir. On a ainsi pu parler de fic­­tion bio­­gra­­phi­­que (Alexandre Gefen), de fic­­tion cri­­ti­­que (Dominique Viart), d’érudition ima­­gi­­naire ou d’essai-mémoire (Marielle Macé). Malgré cette variété, il s’agit tou­­jours de sou­­li­­gner l’entre­­la­­ce­­ment de la fic­­tion et du savoir : le docu­­ment attesté et l’archive mineure sus­­ci­­tent un ébranlement roma­­nes­­que et per­­met­­tent le déploie­­ment d’une inves­­ti­­ga­­tion ima­­gi­­naire d’une part, tandis que la fic­­tion montre son pou­­voir cri­­ti­­que et sa valeur heu­­ris­­ti­­que de l’autre.

Si l’on a plus d’une fois noté le goût du détail et l’atten­­tion au minus­­cule, on a moins sou­­vent remar­­qué l’ambi­­tion de tota­­lité et la voca­­tion ency­­clo­­pé­­di­­que pré­­sen­­tes dans de nom­­breux textes contem­­po­­rains. C’est sans doute le signe d’une époque qui mul­­ti­­plie les dic­­tion­­nai­­res et les ency­­clo­­pé­­dies, comme s’il s’agis­­sait de dres­­ser un der­­nier inven­­taire de connais­­san­­ces sans cesse démul­­ti­­pliées et de savoirs de plus en plus spé­­cia­­li­­sés, qui dépas­­sent la mesure de l’indi­­vidu. Au XVIIe et au XVIIIe siècle le dic­­tion­­naire et l’ency­­clo­­pé­­die étaient des opé­­ra­­teurs cri­­ti­­ques qui sépa­­raient les savoirs et les rumeurs, les choses et leurs légen­­des, selon l’inter­­pré­­ta­­tion de Michel Foucault dans Les Mots et les choses. Depuis la fin du XXe siècle en revan­­che, les écrivains miment for­­mel­­le­­ment les dic­­tion­­nai­­res ou les ency­­clo­­pé­­dies mais pour réin­­tro­­duire dans les savoirs une part irra­­tion­­nelle et légen­­daire, pour faire trem­­bler la connais­­sance pré­­cise par la menace de l’apo­­cry­­phe (Pascal Quignard et ses Petits trai­tés, Gérard Macé et ses Colportages). Double filia­­tion en quel­­que sorte pour ces fic­­tions ency­­clo­­pé­­di­­ques, celle d’un Borgès qui méta­­mor­­phose la recher­­che du savoir en quête fan­­tas­­ti­­que (Pierre Senges, Hubert Haddad), celle d’un Flaubert qui fait tour­­ner les savoirs, les uns sur les autres, sans qu’aucun lan­­gage n’ait prise sur l’autre (Pascal Quignard, Christian Prigent, Roland Barthes, Gérard Genette). Il s’agira d’ana­­ly­­ser au sein de ce projet les détour­­ne­­ments for­­mels et les per­­tur­­ba­­tions géné­­ri­­ques sus­­ci­­tés par la ren­­contre entre la forme alpha­­bé­­ti­­que (ten­­sion vers l’uni­­ver­­sel, lieu du savoir attesté) et des déri­­ves fic­­tion­­nel­­les (micro­­fic­­tions, savoirs apo­­cry­­phes, pro­­jec­­tions de l’intime). Plus lar­­ge­­ment, ce projet inter­­roge la notion de tota­­lité des connais­­san­­ces et d’arti­­cu­­la­­tion des savoirs. Car depuis que les savoirs sont comme en archi­­pel, une des fonc­­tions de la lit­­té­­ra­­ture est peut-être de les arti­­cu­­ler les uns aux autres ou d’inven­­ter une tota­­lité des connais­­san­­ces, à la mesure de l’indi­­vidu, ne serait-ce que comme fic­­tion.

À quoi pense la littérature ?

Séminaire de Master 2009-2010, proposé par Laurent Demanze à l’ENS de Lyon

Depuis son auto­no­mi­sa­tion, il y a un conflit de ter­ri­toire entre la lit­té­ra­ture et les savoirs. Les scien­ces humai­nes vont ainsi pro­gres­si­ve­ment conqué­rir leur scien­ti­fi­cité et leur objec­ti­vité en évacuant pro­gres­si­ve­ment les mar­queurs lit­té­rai­res. Or, depuis les années 1980, la lit­té­ra­ture contem­po­raine se confronte à nou­veau aux savoirs, elle s’élabore aux fron­tiè­res des scien­ces humai­nes en pui­sant par­fois ses enjeux dans les réflexions de la socio­lo­gie, de l’eth­no­lo­gie ou encore de l’his­toire. Ces inte­rac­tions inter­ro­gent la spé­ci­fi­cité du geste lit­té­raire, et remet­tent en ques­tion l’auto­no­mie de la lit­té­ra­ture. On se deman­dera ainsi s’il existe une pensée lit­té­raire, un rap­port spé­ci­fi­que aux savoirs et une cons­ti­tu­tion sin­gu­lière des connais­san­ces. Ce cours sera l’occa­sion d’ana­ly­ser les méta­mor­pho­ses de l’essai aujourd’hui et d’en mon­trer les enjeux mul­ti­ples. Mais ce que l’on nomme érudition ima­gi­naire selon Nathalie Piégay-Gros, essai-mémoire selon Marielle Macé, fic­tion cri­ti­que selon Dominique Viart, ou encore fic­tion ency­clo­pé­di­que, c’est tou­jours le même souci de se servir des savoirs pour inquié­ter la pensée. Car la lit­té­ra­ture contem­po­raine se saisit des savoirs pour mettre en crise la ratio­na­lité, retrou­ver des affects archaï­ques ou poin­ter l’impos­si­bi­lité d’accé­der à la connais­sance exacte. C’est ce que nous tâche­rons de mon­trer dans ce sémi­naire dont nous empun­tons le titre au bel essai de Pierre Macherey.