Chercher au présent Journée d’études des jeunes chercheurs, le jeudi 1e décembre, à l’amphi de la MILC à Lyon, en présence d’Arno Bertina et Laurent Demanze
L’animal au-delà de la métaphore Journée d’études du CERCC, le mardi 18 octobre à l’ENS de Lyon, avec la participation d’Anne Simon et Eric Baratay.
Méthodes, pratiques et enjeux des études littéraires. Regards et questions des doctorant.es sur la discipline. Journée d’études des doctorant.es de Passages XX-XXI Vendredi 6 février
Journée d’études : classicisation du contemporain. Marie-Odile André et Mathilde Barraband vous proposent à Paris III de suivre le devenir-classique de la littérature au présent
Rencontre avec Dominique Viart : dans le cadre de son séminaire sur les enjeux du contemporain, Laurent Demanze s’entretient mardi 19 novembre 2013 avec Dominique Viart, à l’ENS de Lyon.
René Audet est professeur au département des littératures à l’Université Laval.
Vous avez fondé il y a maintenant huit ans une revue en ligne dotée d’un titre énigmatique, temps zéro. D’où vient cette expression ? Quelle conception de l’historicité littéraire engage-t-elle ?
Au milieu des années 2000, le développement des études contemporanéistes était très vif, mais peu d’outils étaient accessibles aux chercheurs et aux étudiants qui voulaient diffuser leurs travaux et consulter des propositions nouvelles sur des corpus encore peu examinés. Bien sûr, plusieurs revues accueillaient des articles, voire des dossiers sur les pratiques actuelles. Il restait toutefois le sentiment que ce nouveau champ pouvait profiter de lieux consacrés à sa cristallisation et à sa complexification. C’était le terreau qui pouvait voir naître une revue comme temps zéro.
Cadrer une nouvelle revue dans un territoire encore relativement vierge était un défi à plusieurs égards. Il ne fallait pas diluer la mission de la revue dans une proposition trop large et trop inclusive – créer une revue sur le contemporain, c’était s’ouvrir à toute proposition vaguement liée à la période actuelle, quelle que soit l’approche critique, le corpus ou la langue d’expression. En revanche, établir une revue très spécialisée risquait de souffrir d’un « marché intellectuel » encore trop peu structuré, et donc d’une offre insuffisante pour permettre le jeu des propositions, la nécessité de la rigueur scientifique et la sélection des textes proposés. Partant de mes propres intérêts (c’est souvent la base de tout projet que l’on élabore...), j’ai défini le mandat de la revue : corpus nationaux variés, période de l’extrême contemporain, études rédigées en français, approches relevant de la poétique, de l’esthétique et des imaginaires contemporains.
Le nom ? Quel pari... quand on considère qu’il établit l’identité de la revue et qu’il doit s’imposer dans une large communauté scientifique. Voulant resserrer les études sur l’extrême contemporain, j’ai souhaité suggérer l’idée d’un regard spécifique à ces corpus, une forme de saisie in vivo de ces pratiques. Donc isoler le fait à étudier, l’observer dans sa propre temporalité – d’où ce temps zéro, repère relatif en sciences, qui permet de voir comment un phénomène s’inscrit dans le temps. Cette vision insuffle une autarcie peut-être abusive du champ contemporain – on sait trop que la période actuelle peut et doit se lire à l’aune des périodes antérieures, dans une logique de déplacement et non de rupture. Mais ce « coup de force » était nécessaire pour instituer un créneau scientifique, qui dépasse le simple commentaire ou la réception immédiate (ce qui constituait la majeure partie du discours sur la littérature contemporaine au tournant du millénaire).
Évidemment, le titre est aussi un clin d’œil à Italo Calvino, ce grand auteur que j’adore et à qui j’ai voulu rendre hommage.
Dans le champ des travaux consacrés au « contemporain », vous avez été un artisan majeur des rapports entre chercheurs québécois et chercheurs français. Quelles sont selon vous les spécificités des approches des uns et des autres dans ce domaine ? Quels liens et quels échanges reste-il à créer ?
De façon plus juste, je serais porté à croire que c’est un outil comme Fabula qui a été un accélérateur des échanges entre chercheurs français et québécois, parce qu’il a fait connaître réciproquement les travaux des chercheurs et leurs profils. Néanmoins, une revue comme temps zéro, des événements et des dossiers de revues mobilisant des chercheurs des deux côtés de l’Atlantique ont effectivement contribué à ces contacts, que les objets d’étude favorisaient – les études sur le contemporain ne sont pas d’emblée centrées sur les spécificités nationales des corpus et rendent possibles des travaux communs sur des œuvres appartenant à l’une ou l’autre littérature nationale.
Du point de vue des approches critiques, il y avait peut-être des différences plus sensibles au début des années 2000. Alors que les chercheurs québécois étaient plus centrés sur les enjeux théoriques et narratifs des pratiques contemporaines, les chercheurs français privilégiaient une cartographie thématique (les motifs dominants, les résurgences et les singularités des œuvres actuelles) et un regard souvent comparatif, voire comparatiste. C’est toutefois un portrait très caricatural, qui tend à devenir aujourd’hui complètement caduc, comme les collaborations sont nombreuses et que les lectures sont croisées. Il reste bien sûr des traits spécifiques aux corpus français et québécois, qui sont étudiés pour eux-mêmes, mais les approches sont passablement partagées.
Ce qui reste à venir : la poursuite de la reconnaissance des travaux menés hors France (même sur des corpus français), qu’ils soient québécois ou de n’importe quelle autre communauté scientifique francophone. Et une ouverture plus grande des chercheurs français à l’égard des corpus québécois, belges, suisses, caraïbéens, africains... De la sorte, de grandes équipes de recherche internationales pourront s’établir et unir leurs regards complémentaires pour une meilleure compréhension des littératures actuelles.
Votre approche critique a beaucoup mobilisé les outils forgés par la narratologie. Pensez-vous que la littérature contemporaine amène à transformer nos outils et à inventer des méthodologies spécifiques ?
Toute approche critique, même aussi formaliste que la narratologie, est forgée à partir de la lecture d’un certain corpus et non à partir de principes désincarnés. La narratologie de Genette, ne l’oublions pas, est calquée sur la littérature moderne, même si le critique s’ouvre ensuite aux pratiques plus récentes. Il en est de même avec la narrativité propre aux littératures contemporaines, réflexion en acte sur les possibilités du texte narratif. C’est pourquoi je poursuis ma route en restant attentif aux incidences de ces explorations fictionnelles sur notre capacité à raconter des histoires, à raconter le monde.
S’il y a une transformation à observer dans l’étude des pratiques contemporaines, c’est peut-être dans l’ouverture du modèle du récit, combinant des regards complémentaires à ceux de la narratologie, de la sémiotique, de la psychanalyse, de la sociocritique... Pensons à une pensée plus philosophique de la narrativité (la piste de la phénoménologie est prometteuse) ou encore à une perspective anthropologique venant influencer notre examen des personnages romanesques. De la sorte, notre compréhension des représentations de l’être et de l’agir humains dans les fictions ne pourra qu’être à la fois plus fine et plus exigeante.
Votre attention se porte aussi sur les formes mêmes de la recherche, et témoigne sans doute d’un désir de produire des lieux de savoir accueillants pour le profane, sans transiger sur l’exigence scientifique. Comment concevez-vous les infléchissements à venir, en termes de supports bien sûr, mais aussi de formats d’écriture ? Je pense notamment à celui de l’« incursion », à l’honneur dans temps zéro.
Déjà, sans être un précurseur, la revue temps zéro s’inscrivait dans une approche exploratoire des modalités actuelles de diffusion du savoir scientifique. Revue entièrement en ligne, souscrivant au principe du libre accès, elle cherchait à renouveler notre rapport avec le discours savant. C’est également dans cet esprit que la rubrique « Incursions » a été inaugurée sur temps zéro : des textes brefs, incisifs, sur des réalités théoriques nouvelles – façon d’ouvrir des voies inédites qui pourront transformer nos façons d’examiner les écritures contemporaines. Il y a certainement là un souhait d’accélérer les échanges et le bouillonnement des idées, mais cet exercice doit être mené sans jamais sacrifier la rigueur argumentative et la validation scientifique.
Parallèlement, diverses initiatives personnelles alimentent cette réflexion et s’en inspirent tout autant : publication de blogs scientifiques, implication dans le développement d’un dépôt institutionnel, pilotage de banques de données en ligne, gestion d’un projet de mise en valeur des productions scientifiques des membres d’un centre de recherche... Ces actions sur la diffusion du savoir, bien que distinctes et à visées diverses, concourent à renouveler l’idée et la fonction de la publication scientifique. Si la monographie demeure toujours pour plusieurs l’incarnation du Grand œuvre, cette modalité est précarisée sous plusieurs angles : économie éditoriale chancelante, lourdeur des tâches universitaires qui libèrent peu de temps pour l’écriture de longue haleine, accélération des avancées critiques sur les corpus contemporains... Le modèle de la monographie n’est sûrement pas à rejeter, mais il pourra certainement être revisité et recadré, de sorte qu’il s’ajuste aux besoins, aux conditions de sa réalisation et aux possibilités actuelles de circulation du savoir.