écritures contemporaines

Dominique Viart et Gianfranco Rubino (éds), Écrire le présent, Paris, Armand Colin, 2012.

La lit­té­ra­ture contem­po­raine a conquis sa place dans la recher­che uni­ver­si­taire. Mais s’inté­res­ser au pré­sent de la lit­té­ra­ture ne décide pas de ce que la lit­té­ra­ture dit au sujet du pré­sent, ni com­ment elle traite de l’époque actuelle.

De quelle manière les écrivains met­tent-ils en forme esthé­ti­que un temps natu­rel­le­ment fugace ? Comment affron­tent-ils les injonc­tions de l’actua­lité et la concur­rence de media plus réac­tifs ? Cet ouvrage entre­prend de réflé­chir aux genres lit­té­rai­res du pré­sent : il étudie leurs modes d’intel­lec­tion de l’immé­diat, le trai­te­ment nar­ra­tif du quo­ti­dien, inter­roge la récep­tion lit­té­raire de l’événement, les récits et réflexions que les écrivains élaborent autour d’un pré­sent social en cons­tante muta­tion.

Baudelaire iden­ti­fiait la moder­nité à son goût pour « le tran­si­toire, le fugi­tif, le contin­gent ». Si le régime d’his­to­ri­cité contem­po­rain est plus « pré­sen­tiste » que moderne, qu’en est-il de ce pré­sent, visi­ble­ment plus hanté par sa mémoire que pro­jeté dans l’avenir ? Et com­ment la lit­té­ra­ture, intem­pes­tive par excel­lence et qui sup­pose le temps long de l’écriture, peut-elle écrire le pré­sent ?



Dominique Viart et Laurent Demanze (dir.), Fins de la littérature : Historicité de la littérature contemporaine, tome II, Paris, Armand Colin, coll. « Recherches », 2012.

Où en est la lit­té­ra­ture fran­çaise, quand tant de dis­cours la vouent à son cré­pus­cule ? Affronter cette ques­tion sup­pose non seu­le­ment de la décrire, comme s’y emploient des études de plus en plus nom­breu­ses, mais encore de com­pren­dre sa situa­tion actuelle.

Or, les ryth­mes de la lit­té­ra­ture ne sont pas ceux du monde. Elle va de son mou­ve­ment propre, des­si­nant au fil du temps des poé­ti­ques diver­ses. Elle n’en demeure pas moins affec­tée par les événements qui la requiè­rent. Envisager les fins de la lit­té­ra­ture, c’est donc, d’un même élan, situer cette dis­ci­pline artis­ti­que dans une his­toire - sociale, cultu­relle - et, tout à la fois, la confron­ter à son orien­ta­tion esthé­ti­que.

Comment la lit­té­ra­ture actuelle s’ins­talle-t-elle dans le pré­sent ? Comment prend-elle en compte son his­toire propre et celle de la com­mu­nauté sociale qui la pro­duit ? Comment tra­vaille-t-elle avec, ou contre, son héri­tage ? Quel est, en un mot, son régime d’his­to­ri­cité ?



Gilles Bonnet, François Bon. D’un monde en bascule, Chêne-Bourg, La Baconnière, 2012.

Depuis Sortie d’usine (1982), l’oeuvre de François Bon s’honore d’ins­crire pour mémoire la dis­pa­ri­tion d’un monde, ne fût-elle visi­ble qu’en l’infra-ordi­naire. Cependant, de récits en bio­gra­phies des Rolling Stones ou de Led Zeppelin, de pièces de théâ­tre en essais sur le numé­ri­que, cette oeuvre pro­fuse se garde d’une vision pas­séiste qui se com­plai­rait dans le regret d’un temps perdu.

Écrire la bas­cule signi­fie ainsi se lais­ser aspi­rer par le vide de l’ancien, au moment où le nou­veau tente de l’inves­tir, puis en bâtir une struc­ture tuilée qui puisse sup­por­ter l’oeuvre et le monde appelé à y réson­ner. De la fin à la bas­cule, la nuance n’est pas que de lexi­que : écrire la bas­cule d’un monde, c’est main­te­nir le texte ouvert contre la ten­ta­tion de la nos­tal­gie, l’astrein­dre sans cesse à la véhé­mence jusqu’à l’incan­ta­tion, rageuse par­fois, de se savoir quête vive car vaine. Aussi la bas­cule dans l’oeuvre de François Bon a-t-elle à voir avec la légi­ti­mité illé­gi­time de la lit­té­ra­ture comme geste ten­dant à la maî­trise et à la déprise du monde ou du sujet.

Ce n’est qu’en désé­qui­li­bre, entre fixé et effon­dré, que l’acte d’écrire prend sens. Seule une telle ins­ta­bi­lité, source d’une cons­tante inven­tion de formes, dote l’écriture d’une den­sité neuve, tissée d’urgence, d’aléa­toire et d’irré­mé­dia­ble.



Dominique Viart et Laurent Demanze (dir.), Fins de la littérature : Esthétiques et discours de la fin, tome I, Paris, Armand Colin, coll. « Recherches », 2012.

Les dis­cours sur la « fin » de la lit­té­ra­ture se mul­ti­plient. Les uns déplo­rent la perte de son aura sociale, l’affai­blis­se­ment de son lec­to­rat et pré­fè­rent avec nos­tal­gie les écrivains d’hier à ceux d’aujourd’hui. Les autres évoquent les mena­ces qui pèsent sur le livre et s’inquiè­tent de son avenir numé­ri­que. Ce flot cri­ti­que réac­tive com­plai­sam­ment une tona­lité cré­pus­cu­laire propre aux fins de siècle. En renouant avec les esthé­ti­ques du déclin, il rejoue la pro­phé­tie hégé­lienne d’une mort de l’art. Mais il pointe également ce qui mena­ce­rait notre temps : la dis­si­pa­tion de l’héri­tage huma­niste, de l’exi­gence intel­lec­tuelle et de l’esprit cri­ti­que dans un monde qui aban­donne la culture au spec­ta­cle et au marché. Il était temps d’inter­ro­ger ces dis­cours, d’en peser les argu­ments, les enjeux et les réfé­ren­ces. Porteurs d’une idéo­lo­gie ou d’une repré­sen­ta­tion sin­gu­lière de la lit­té­ra­ture, ne per­pé­tuent-ils pas, en ce début de XXIe siècle, un geste de « l’adieu » volon­tiers repris par les écrivains eux-mêmes ? À moins que la lit­té­ra­ture pré­sente ne cher­che désor­mais à se figu­rer comme sur­vi­vante : une lit­té­ra­ture d’après la fin ?



Paul Dirkx & Pascal Mougin (dir.), Claude Simon : situations, ENS de Lyon Editions, 2012.

Qu’une oeuvre trans­pose ou trans­forme les don­nées empi­ri­ques, qu’elle les déplace ou les occulte, qu’elle les excède ou les trans­fi­gure, elle vaut d’être étudiée en rela­tion avec ses condi­tions concrè­tes de pos­si­bi­lité. Les romans de Claude Simon sont abor­dés ici à la lumière de l’his­toire lit­té­raire, de l’his­toire cultu­relle et de la socio­lo­gie de la lit­té­ra­ture, qui renou­vel­lent l’appro­che d’un auteur majeur, Prix Nobel de lit­té­ra­ture en 1985. Les choix d’écriture ou les ajus­te­ments spon­ta­nés de l’écrivain font sens par rap­port au sys­tème des contrain­tes et des moti­va­tions où ils s’opè­rent, en l’occur­rence l’ensem­ble des pos­si­bles esthé­ti­ques et éthiques du contexte lit­té­raire, artis­ti­que, intel­lec­tuel et poli­ti­que de la seconde moitié du XXe siècle.



Aurélie Adler, Éclats des vies muettes : Figures du minuscule et du marginal dans les récits de vie d’Annie Ernaux, Pierre Michon, Pierre Bergounioux et François Bon, Paris, Presses universitaires de la Sorbonne nouvelle, 2012.

Les récits de vie d’Annie Ernaux, Pierre Michon, Pierre Bergounioux et François Bon témoi­gnent des figu­res oubliées de l’arbre généa­lo­gi­que et des lais­sés pour compte de la société contem­po­raine. En écho aux muta­tions épistémologiques des scien­ces humai­nes dans les années 1960-1970, ces auteurs enten­dent écrire l’Histoire non plus du point de vue des hommes illus­tres, mais du point de vue des ano­ny­mes. La mise en récit des sans-voix par­ti­cipe d’un renou­vel­le­ment des para­dig­mes de la nar­ra­tion dans les der­niè­res décen­nies du XXe siècle. Les figu­res sans his­toire indui­sent en effet des pro­ces­sus de réduc­tion et de mar­gi­na­li­sa­tion du genre roma­nes­que. La trame des vies muet­tes se déroule sur le mode de l’éclat, bribes de la mémoire ou jaillis­se­ment inci­sif d’un réel à vif. La ténuité des archi­ves, le soup­çon éthique et poé­ti­que qui porte sur la reconfi­gu­ra­tion nar­ra­tive de ces vies réel­les condui­sent l’écrivain à délais­ser les formes péri­mées du roman réa­liste. Ils le pous­sent à ques­tion­ner l’écart social et cultu­rel avec ces demi-autres, mués en autant de miroirs de soi en éclats. Ces nar­ra­tions au genre hybride font appa­raî­tre une figure d’auteur pro­blé­ma­ti­que, laté­rale et brisée, nour­rie d’une incer­ti­tude épistémique majeure. Ces iden­ti­tés nar­ra­ti­ves dif­frac­tées - celles des per­son­na­ges comme des auteurs - inter­ro­gent en retour l’his­toire de la lit­té­ra­ture, sa place et sa puis­sance de résis­tance dans la société d’aujourd’hui.